dimanche 25 mars 2012

Elle et le Black Fashion Power (5/10) Retour sur une polémique



C'est l'histoire d'une acculturation (les adeptes de la secte psychanalytique appellent cela le "surmoi")

Nathalie Dolivo dixit :
Mais, si, en 2012, la « blackgeoisie » a intégré tous les codes blancs, elle ne le fait pas de manière littérale. 

Voilà la phrase qui aurait mis le feu aux poudres et provoqué contre le magazine Elle la levée de boucliers que l'on sait.

Et moi de penser : "Mais, ma parole, ils n'ont pas lu les travaux des époux Clark !". Parce qu'il est évident que bien des Noirs américains ont fait plus que d'intégrer les codes blancs, allant même jusqu'à dénigrer leur propre condition de nègres, phénomène largement étudié par psychologues et sociologues au sein même de la "communauté noire". 



Mamie et Kenneth Clark ont voulu se faire une idée de l'image que les enfants noirs avaient d'eux-mêmes au travers de ces jouets particuliers que sont les poupées.

Le "Clark Test" a fait grand bruit lors de sa publication, comme il a également fait des petits, jusqu'à nos jours, y compris hors des Etats-Unis. À l'époque, la ségrégation raciale sévissait sur tout le territoire des États-Unis, avec écoles séparées, bus séparés, toilettes séparées, etc. Et c'est là que Kenneth Clark et son épouse Mamie, en marge d'une procédure juridictionnelle, imaginent cette enquête sur l'image que de petits Américains noirs ont d'eux-mêmes. Les psychologues invitent souvent les enfants à dessiner leur famille ou des scènes de la vie quotidienne, quand ils n'invitent pas les sujets testés à "lire" des taches d'encre, par exemple... Ici, il s'agissait de jouer à la poupée.

L'image ci-dessous montre un petit Noir, à qui l'on avait demandé de choisir son poupon préféré, et optant délibérément pour le poupon blanc, jugé plus beau, plus mignon, bien que les deux poupons proposés soient rigoureusement identiques à un détail près : leur couleur.


Le conditionnement social, ou l'art d'instiller la haine de soi à des sujets dominés et prêts à se discriminer les uns les autres selon des critères de proximité avec le dominant. On pense, par exemple, à cette typologie présente dans des pays comme l'Afrique du Sud, mais aussi aux Antilles, permettant de classer les Noirs en fonction de la nuance de la teinte de leur peau : dans le désordre, nous aurions mûlatre, quarteron, octavon, chabin, métis, nègre, etc.

Lu sur un blog :

Pourquoi ces termes ? “Simplement” dans un souci de classification humaine et pour différencier ces Noirs évolués (c-à-d blanchis) de ceux travaillant dans les champs de coton. Les mulâtres et leurs descendants (généralement de plus en plus blancs) avaient un statut social enviable. Pas égal à celui des Blancs mais bien plus enviable que ceux des Noirs. Ils pouvaient même être affranchis (l’enfant d’une négresse naissait automatiquement esclave).

Des comportements d'autodénigrement, voire de dénigrement tout court, entre des gens censés appartenir à la même communauté, en tout cas à une même catégorie discriminée, et dont le caractère pervers a été mis en évidence par le test des Clark de manière tonitruante. 

Le travail pionnier des époux Clark a inspiré une multitude d'autres chercheurs ainsi que de commentaires de travailleurs sociaux voire de simples particuliers, comme les extraits qui suivent peuvent l'illustrer. 

Et tandis que les Barbies blanches se vendent comme des petits pains, la poupée noire...


While white holiday Barbie sells, black doll languishes on shelves
 (…)
Buyers complain that the black dolls that are currently available are either too generic or too ethnic. The fact that the black dolls often do not look like the children they are marketed toward does not help, say psychologists. "Black Barbies don’t look like black children. They look like white dolls tinted brown and that doesn’t fool black kids," says Brenda Wade, a family psychologist. Wade suggests that black parents find a non-mainstream doll that resembles someone the child knows and inspires creativity.

Wade says she is not surprised that black girls favor white Barbie. According to studies conducted from the 1960s to today, black girls still associate white dolls with beauty, purity, and goodness. Gwendolyn Goldsby Grant, also a family psychologist, says she gets letters from parents complaining that they cannot get their children to like black dolls. She says it is not surprising that black children prefer white dolls. "In our society, dictionary definitions of good and bad tell us what it means to be black and white...it stays with (kids) for life," she says.

La Barbie blanche des vacances se vend (comme des petits pains), tandis que la poupée noire se languit sur ​​les étagères
  (...)
Les acheteurs se plaignent de voir que les poupées noires qui sont actuellement disponibles sont soit trop génériques soit trop typées. Le fait que les poupées noires souvent ne ressemblent pas aux enfants auxquels elles sont destinées n'aide pas à améliorer les choses, disent les psychologues. "Les barbies noires ne ressemblent pas aux enfants noirs. Elles ressemblent à des poupées blanches teintées de brun et les enfants noirs n’en sont pas dupes.", affirme Brenda Wade, une psychologue familiale. Wade suggère aux parents noirs de rechercher une poupée non-traditionnelle (sortant des sentiers battus) et qui ressemble à quelqu'un de connu des enfants et qui inspire de la créativité.

Wade dit qu'elle n'est pas surprise de voir que les filles noires préfèrent la Barbie blanche. Selon les études menées depuis les années 1960 jusqu’à aujourd'hui, les filles noires associent encore la poupée blanche avec la beauté, la pureté et la bonté. Gwendolyn Goldsby Grant, également psychologue familiale, dit qu’elle reçoit des lettres de parents qui se plaignent qu'ils ne peuvent pas amener leurs enfants à aimer les poupées noires. Elle dit qu'il n'est pas surprenant que les enfants noirs préfèrent les poupées blanches. "Dans notre société, les définitions du dictionnaire sur le bon et le mauvais nous renvoient au noir et au blanc..., et cela va imprégner (les enfants) toute leur vie.", dit-elle.



Autre son de cloche :


The case of the black Barbie doll

Leslie, a 38-year-old social worker who counsels children with stressful life situations, found her 4-year-old daughter, Sophia, engaged in animated play with her dolls. She watched incredulously as Sophia invited the four white dolls with blonde hair to a tea party while the dark-skinned doll with black hair lay alone across the room.

 “Why isn’t that doll going to the tea party?” she inquired.
 “She’s dead,” replied Sophia matter-of-factly.
 “Dead? How can that be? She’s just like the other dolls. Why can’t she play with them?”
 “They don’t want to play with her.”
 “Why is that?”
 “Because she has dark skin,” replied Sophia.

Leslie’s mouth dropped to the floor as she fought back tears. How could this be? Hadn’t she and her husband worked diligently to teach her child to be inclusive? Sophia had a variety of multicultural toys and books. She was only allowed to watch progressive television shows like Sesame Street, Dora the Explorer, Diego, the Backyardigans and Yo Gabba Gabba. An only child, she attended an expensive, supposedly inclusive pre-kindergarten school which included children of color.

 “Sweet Pea,” said Leslie, plaintively, “you’re hurting that doll’s feelings. You’ve got to let her play with the other dolls.”

 “She can’t. She’s in jail,” Sophia replied as she rationalized her decision to exclude the dark-skinned doll.

This scenario has probably been repeated in countless homes and classrooms around the country. But it was a real situation that wrenched Leslie and me, as we tried to come to a resolution to the problem. You see, Sophia is my granddaughter, and I happened to be visiting when this incident occurred. As an advocate for civil rights and a diversity trainer, the family looked to me for an answer.

 I naturally thought of the doll experiments conducted by Kenneth and Mamie Clark in the 1940s. They revealed a preference for white dolls by both black and white children. And despite attempts since then to create equal educational opportunities for all children, replications of the Clark’s work consistently reveal similar results.

Social scientists attribute negative attitudes toward blackness to historical and cultural processes in our society that perpetuate perceptions of dark skin as inferior to white, stigmatizing blacks and other ethnic minorities as being lazy, shiftless, and uneducable—attitudes that affect the achievement gap in educational attainment between blacks and Latinos versus whites and Asians.  These attitudes have been referred to as symptoms of systemic racism.

Leslie, travailleur social de 38 ans, qui assistait des enfants vivant des situations stressantes, trouva Sophia, sa fillette de quatre ans, engagée dans un jeu animé avec ses poupées. Elle regardait, incrédule, comment Sophia avait invité quatre poupées blanches aux cheveux blonds à une partie de thé, tandis que la poupée à la peau foncée et aux cheveux noirs traînait toute seule dans la pièce.


- Pourquoi cette poupée ne va-t-elle pas à la dégustation de thé ?,  demanda-t-elle.
- Elle est morte, répliqua Sophia d'un ton neutre.
- Morte ? Comment cela se peut-il ? Elle est juste comme les autres poupées. Pourquoi ne peut-elle jouer avec les autres ?
- Elles ne veulent pas jouer avec elle.   
- Pourquoi donc ?   
- Parce qu'elle a la peau foncée, répondit Sophia...


(...)


Les chercheurs en sciences sociales attribuent les attitudes négatives envers la noirceur (de la peau) à des processus historiques et culturels au sein de notre société, qui perpétuent la perception de la peau foncée comme étant inférieure au blanc, stigmatisant les Noirs et autres minorités ethniques comme étant paresseuses, fainéantes, et inéducables – des attitudes qui affectent l'efficacité des programmes de réduction des écarts de  performances scolaires entre les Noirs et les Latinos d’une part, et les Asiatiques et les Blancs, de l’autre. Ces attitudes sont généralement considérées comme étant des symptômes d’un racisme systémique.

J'ai naturellement pensé aux expériences sur les poupées menées par Kenneth et Mamie Clark dans les années 1940. Elles ont révélé une préférence pour les poupées blanches tant par les  enfants noirs que blancs. Et malgré les tentatives menées depuis pour créer des situations  éducatives égales pour tous les enfants, les rééditions de travaux s’inspirant de ceux des  Clark révèlent constamment des résultats similaires...

Racistes, les Noirs ? Voici une prise de position (d'un Afro-américain) assez peu orthodoxe.


All black Americans are racist. Well, at least 99%.

When your life is shaped by the colour of your skin it is very hard not to see the world in terms of race. In fact, to be race-blind under such circumstances would be unwise.

Some say blacks cannot possibly be racist because they lack power like whites to use their prejudice, their feelings about race, to hurt others. They do not control the police, banks, courts or newspapers. Racism is prejudice backed by power.

But blacks do have power. Not the power to affect complete strangers in large numbers like whites do, but they still have the power to hurt others.

You see that in hate crimes against whites and Asians, for example.

But most of their prejudice and hatred is turned inward. Whatever hatred blacks direct against whites and Asians it is nothing compared to the hatred they direct against themselves.

They live in a white world which tells them over and over and over again that they are no good. In a thousand little ways. As advertisers know, if you hear something enough times you begin to believe it. It is how the mind works.

Tous les Noirs-Américains sont racistes. Bon, disons  au moins 99% d'entre eux.

Lorsque votre vie est façonnée par la couleur de votre peau, il est très difficile de ne pas voir le monde en termes de race. En fait, rester aveugle face au phénomène racial dans de telles circonstances ne serait pas raisonnable.

Certains disent que les Noirs ne peuvent pas être racistes parce qu'ils n'ont pas le pouvoir, comme les Blancs l'ont, d'utiliser leurs préjugés, leurs sentiments sur les races, pour agresser les autres. Ils ne contrôlent pas la police, ni les banques, ni les tribunaux, ni les journaux. Le racisme est un préjugé renforcé par le pouvoir.

Mais les Noirs en ont, du pouvoir. Ce n'est pas le pouvoir d'influer sur de grandes masses de parfaits inconnus, comme les Blancs le font, mais ils ont encore le pouvoir de blesser les autres.

C'est ce qu'on peut constater dans les crimes motivés par la haine contre les Blancs et les Asiatiques, par exemple.

Mais la plupart du temps, ces préjugés et cette haine sont dirigés vers l'intérieur. Quelle que soit la haine qu'éprouvent les Noirs à l'égard des Blancs et des Asiatiques, elle n'est rien en comparaison avec la haine qu'ils dirigent envers eux-mêmes.

Ils vivent dans un monde blanc, qui leur dit maintes et maintes et maintes fois qu'ils ne sont pas bons. Un discours distillé subrepticement de mille et une manières. Comme les publicitaires l'ont compris, si vous entendez quelque chose un nombre conséquent de fois, vous allez commencer à y croire. C'est ainsi que notre cerveau fonctionne.




Prochain épisode : Illusions d'optique


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