dimanche 25 mars 2012

Elle et le Black Fashion Power (1/10) Retour sur une polémique



N'étant pas un adorateur de la presse féminine, dans laquelle j'ai toujours vu un alignement de placards publicitaires ou de "publireportages" encadrés par quelques pages rédactionnelles ici ou là - c'est ma vision de la chose en tout cas -, la probabilité de me voir accéder à un article du magazine Elle - hormis un fameux marronnier auquel je m'intéresse depuis longtemps : le dossier récurrent de milieu de printemps, soit autour du mois d'avril, sur les fameux kilos à perdre absolument avant l'été ! - était assez faible, jusqu'à ce matin de janvier, où j'ai capté "live" un bien tonitruant "billet" d'Audrey Pulvar sur France Inter, suivi d'une pétition reproduite dans lemonde.fr, deux textes (ré)exposés ci-dessous. Les numéros entre parenthèses sont de mon fait et vont appeler quelques commentaires.





Papier de merde... (Audrey Pulvar)

(...)

Contentons-nous de réclamer de ce magazine un minimum de respect dû à ses lecteurs et de rigueur de la part de ses « journalistes »… Par exemple quand il prétend décrire le « phénomène »  Black Fashion Power (2) dans un article dont la bêtise et l’inanité ne tarderont pas à servir de modèle du genre « papier de merde », dans les écoles de journalisme (3). Sur les captures d’écran réalisées par quelques bloggeurs, on peut tout de même lire cet article fantôme (1). On y apprend que, ouvrez les guillemets : « Dans cette Amérique dirigée pour la première fois par un Noir, le chic est devenu une option plausible pour une communauté [noire] jusque-là arrimée à ses codes streetwear ». Ainsi, avant les Obama, les Noirs, au moins aux Etats-Unis, ignoraient-ils « le chic » (4). Pas une option pour eux. Voilà qui fera plaisir à Condoleeza Rice. Comme à des cohortes de Noirs, femmes et hommes, maires, députés, conseillers politiques de premiers plans, architectes, médecins, secrétaires, banquiers, policiers, juges, avocats, enseignants, cinéastes, comédiens on en passe et des meilleurs, se mouvant tous les jours dans leurs villes, leurs rues, leurs bureaux, leurs métros en affichant les mêmes codes vestimentaires que les milieux dans lesquels ils évoluent (5). Ont-ils attendu le couple Obama pour mettre au placard la ceinture de bananes et les soutiens gorges en noix de coco ? Ah non, on a mal lu : ils étaient « arrimés au streetwear »… ?! (6) Mais combien d’entre eux, imagine la journaliste du magazine Elle, se présentent au bureau habillés façon « streetwear» ? A moins que dans son esprit, un Noir ne soit destiné qu’à tourner des clips de rap ou à vendre de la drogue aux coins de rues, dans la tenue préférée des petits dealers: jean baggy et tee-shirt XXL ? (6bis)

La stupidité de l’article ne s’arrête pas là, puisqu’il nous est expliqué que dans le sillage de Michelle Obama, qui décline « en mode jazzy », forcément, le vestiaire de Jackie Kennedy, « l’audace et la créativité se sont réveillées »… Mazette ! Sainte Michelle, un temps adepte de robes à fleurs importables, nous montrerait donc la voie ! (7)  Mais attention, pour les noires fashionistas, les « black-geoises » comme les surnomme Elle, bien qu’ayant « intégré tous les codes blancs » (sic), pas question d’oublier leurs « racines » ! Ainsi, ces nouvelles égéries du style n’oublieraient jamais de casser le classicisme blanc avec « un boubou, un collier en coquillage ou… une créole de rappeur » (8) ! Ben voyons ! Mais au fait, madame la journaliste de Elle, de quelles racines parle-t-on exactement pour des Noirs présents depuis 4 siècles sur le continent nord-américain (8 bis) et qui, comme d’autres communautés, ont bâti, au prix que l’on sait, leur pays d’aujourd’hui ? Et en quoi  la « communauté noire » est-elle une entité homogène et moutonnière ? (9)

Pour appuyer sa navrante démonstration, Elle.fr déforme les  propos de John Caramanica, journaliste mode au New York Times, ça fait toujours sérieux. Caramanica estimerait, nous dit Elle, que ce retour au style constitue pour les Noirs « une source de dignité »… Un détour par le site du journal américain montre pourtant que Caramanica consacrant un article à deux jeunes Noirs de Brooklyn, créateurs de mode très en vogue, écrit qu’ils perpétuent une tradition datant de l’émergence de Harlem et ayant accompagné les luttes menées par les Noirs, pour le respect de leurs droits fondamentaux, tradition du vêtement comme vecteur de leur dignité (10). L’article imbécile et raciste (11) de Elle, provoque à juste titre l’indignation et les moqueries de milliers d’internautes, en France comme aux Etats-Unis où il est relayé par plusieurs sites. Des excuses sont-elles une « option plausible » pour ce journal ?

Affaire à suivre.


Une pétition dans lemonde.fr

Après le papier vengeur d’Audrey Pulvar sur France Inter, la polémique est encore montée d'un cran, avec cette pétition relayée par lemonde.fr, et au sein de laquelle Audrey Pulvar et Sonia Rolland figurent en bonne place.

C'est le magazine Elle qui nous l'apprend : en matière de mode, en 2012, "la ‘black-geoisie' a intégré tous les codes blancs…" (12). D'ailleurs, "le chic est devenu une option plausible pour une communauté jusque là arrimée à ses codes streetwear." Eh oui, tandis que durant des décennies les Noirs se sont habillés comme des "cailleras" à capuche, ils ont enfin compris, grâce à l'enseignement des Blancs, qu'il convenait de faire plus attention à leur apparence (13). Voilà la teneur d'un article paru le 13 janvier dans l'hebdomadaire préféré des ménagères de la "white-geoisie" (puisqu'apparemment il faut désormais distinguer les bourgeois eux aussi racialement), intitulé "Black fashion power", tentant d'analyser les raisons du succès sur les red carpets de personnalités afro-américaines. (14)

Et c'est simple : si les Noirs sont enfin chics, c'est parce qu'ils ont désormais une icône digne de ce nom, Michelle Obama, qui donne le ton en "revisitant en mode jazzy le vestiaire de Jacky O." Oui, car toute première dame qu'elle soit, Michelle Obama elle-même n'a pu s'inspirer que d'un modèle blanc ; et comme elle a le rythme dans la peau, elle y ajoute une touche jazz, normal. (15)

Mais attention, les Noires n'ont pas intégré ces codes  "de manière littérale. C'est toujours classique avec un twist, bourgeois avec une référence ethnique (un boubou en wax, un collier coquillage, une créole de rappeur…) qui rappelle les racines." N'avez-vous pas remarqué l'os que Halle Berry arbore fièrement dans son nez ? Ne voyez-vous pas à quel point Rama Yade aime rappeler ses exotiques "origines" en se drapant dans un pagne léopard avant de prononcer ses discours ? (16)

Il serait temps que les rédactrices de Elle s'aventurent hors de leurs bureaux vitrés du quartier d'affaires de Levallois-Perret afin de se mêler à la population, ce qui leur permettrait de voir à quoi ressemblent les Noirs et comment ils s'habillent en vrai. Il serait également temps de se rendre compte que des femmes noires, il y en a aussi en France, qu'elles ne vivent pas toutes aux Etats-Unis et ne sont pas toutes stars de la chanson, du cinéma ou du sport (17). Pourquoi ramener toute femme noire élégante à Michelle Obama, et pourquoi toujours comparer à Barack Obama Omar Sy dans le film Intouchables - et avec lui beaucoup de Noirs élégants en France (18) -, dès lors qu'il passe du jean-basket au costume noir-chemise blanche ? A défaut de fréquenter des Noirs, la consultation de la presse de ces dernières années suffit pourtant à constater qu'il y a même eu des femmes noires au gouvernement, à l'Assemblée Nationale, à la présentation de journaux télévisés et au cinéma !

Enfin, un peu de recherche et de bon sens nous aurait épargné l'affirmation selon laquelle "pour la communauté afro, le vêtement est devenu une arme politique", dépréciant par là la véritable et douloureuse histoire des combats des minorités noires en faisant de la moindre starlette bien habillée (19) la porte-parole de cette lutte. Quant aux Noirs qui ne font pas de politique, on se demande s'ils se promènent nus… (20)

Tout cela aurait pu n'être qu'une banale affaire d'inculture et d'ignorance vite oubliée, si le magazine avait daigné répondre aux nombreuses protestations de lectrices et lecteurs choqués par l'article. Car c'est sa publication sur le site web du magazine qui déclenche une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, les blogs mode (AfroSomething, BlackBeautyBag, ThaCrunch et TiModElle) - grâce auxquels l'affaire traverse l'Atlantique - et même sur Elle.fr, où en quelques jours plus de mille commentaires réclamant des explications ou des excuses sont postés. Réponse de la rédaction : aucune. Jusqu'à ce que le 24 janvier, Valérie Toranian, directrice de la rédaction, se fende d'un petit commentaire dont il ressort en substance que les "indignés" n'ont rien compris à l'article. Nouvelle vague de protestations, aboutissant  finalement à la suppression pure et simple de l'article. Mais le mal est fait. Jeudi matin, sur France Inter, Audrey Pulvar dénonce le papier dans un édito intitulé "Y a bon Obamania", avant d'être invitée vendredi soir dans le Grand Journal de Canal+ pour débattre face à Valérie Toranian. Si la directrice de la rédaction y exprime des regrets, elle maintient sa position et persiste en affirmant avoir voulu être "bienveillante" avec les Noirs (21). En d'autres mots, si les propos sont offensants, les intentions étaient bonnes, alors pourquoi se plaindre ? Les Noirs, hommes ou femmes, n'ont pas besoin de bienveillance, mais d'égalité (22). Or cette affaire est un révélateur : l'article est le symptôme médiatique d'une exclusion à la fois culturelle et sociale (23). 

Puisque le débat a été lancé, poursuivons-le. Nous aimerions ici suggérer aux salariés de Elle d'essayer d'ouvrir leurs horizons. Puisque la tendance est à la "black fashion", pourquoi ne pas y adhérer en recrutant par exemple plus de rédactrices noires ? (24) Et pourquoi pas, soyons fous, choisir une femme noire pour poser sur la couverture du magazine? Juste une fois, pour voir ? (25) Deux millions de femmes noires en France, qui dépensent sept fois plus d'argent dans les cosmétiques que leurs congénères blanches (26), et dont le pouvoir d'achat grandissant constitue un marché en expansion pour les produits de beauté et de mode, est-ce si négligeable ? (27) Car ce "racisme structurel" de notre société, dont parle si bien Valérie Toranian sur les plateaux de télévision, est aussi alimenté par l'absence des femmes noires à la Une des titres de presse féminine : en près de 70 ans d'existence, Elle n'a daigné accorder sa couverture qu'à une poignée de femmes noires (28). Pourquoi la bienveillance du magazine envers les "black-geoises" se limiterait-elle à un dossier spécial chaque année bissextile ? Quand celles-ci auront-elles droit de cité dans les pages du magazine sans se voir affublées de qualificatifs grotesques ? C'est sur ce sujet que nous aurions aimé l'entendre l'autre soir et que nous l'attendons désormais.


Des observations ? 


  • Pulvar

01. Question de méthodologie. Audrey Pulvar commençait son papier par un constat, à savoir que l'article en question avait disparu du site du magazine Elle, ce qui lui a valu de se rabattre sur des captures d'écran opérées par des bloggeurs. J'en déduis, donc, que Pulvar n'a pas eu l'intégralité du texte sous les yeux au moment de composer son "billet". Peut-on, donc, dire en toute objectivité qu'Audrey Pulvar ne se réfère qu'à des extraits d'un texte qu'elle n'a pas lu en totalité ? Dans la rubrique : "La paille et la poutre", ce n'est pas mal du tout !

02. Le phénomène "Black Fashion Power"...

Et là, on pense à un complément du nom, et l'on pense à 'phénomène... de mode'. Il s'agit bien d'une mode.

03. Modèle du genre "papier de merde" dans les écoles de journalisme. 

Oui, mais papier de merde mal lu, de toute évidence. Du coup, je m'interroge : étant donnée la rigueur intellectuelle plus qu'approximative avec laquelle elle a agi en l'occurrence, dans quelle catégorie Audrey Pulvar rangerait-elle son propre papier, rapport à la typologie en cours dans les écoles de journalisme ? Voilà qui renvoie le fils - non croyant - de pasteur que je suis au texte de référence des Chrétiens ; je pense à cette fameuse parabole dite du Pharisien et du Publicain (Luc 18, 9-14). Et j'ai déjà évoqué la réflexion autour de la paille et de la poutre (Luc, 6, 41). 

04. Le chic est devenu une option plausible pour une communauté noire jusque là arrimée à ses codes street-wear.

Là, j'avoue que la phrase est discutable; mais je n'ai jamais prétendu qu'il n'y ait pas matière à discussion dans cet article, et s'il y a amalgame dans ce papier, c'est précisément ici, entre les adeptes - nombreux - du street-wear, surtout parmi un public masculin et populaire, d'une part, et une bourgeoisie plus âgée, d'autre part. Le terme "communauté" me semble, donc, inapproprié ici.

05. ... en affichant les mêmes codes vestimentaires que les milieux dans lesquels ils évoluent.

Voilà qui n'est pas faux, surtout si l'on pense au caractère prescripteur de certaines icônes (du sport ou du spectacle), capables d'orienter les choix vestimentaires de beaucoup de personnes, surtout jeunes et "branchées".

06. 06bis. Ont-ils attendu le couple Obama pour mettre au placard la ceinture de bananes et les soutiens-gorge en noix de coco ? (...) A moins que dans son esprit, un Noir ne soit destiné qu’à tourner des clips de rap ou à vendre de la drogue aux coins de rues... 

Ça s'appelle de l'extrapolation, consistant à faire peser la critique sur ce qu'on croit que l'autre voulait dire mais n'a pas dit. Curieuse méthode, à la limite de la malveillance gratuite ! Et qui me fait irrésistiblement penser à ce passage de la fable de La Fontaine (Le loup et l'agneau).

- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère !
- Je n'en ai point.
- C'est donc quelqu'un des tiens !


07. Michelle Obama, qui décline « en mode jazzy », forcément, le vestiaire de Jackie Kennedy. 

Question : il est où, le problème, dans la simple affirmation ou dans l'inexactitude éventuelle de ladite affirmation ? Au fond, Audrey Pulvar s'est-elle simplement donné la peine d'infirmer, preuves à l'appui, l'allégation de Nathalie Dolivo ? Et s'il se confirme que Michelle Obama décline effectivement, en mode jazzy, le vestiaire de Jackie Kennedy, que pourrait-il y avoir de scandaleux là-dedans, quand on sait que Jackie Kennedy fut une, sinon l'épouse de président la plus glamour qu'on ait eue à la Maison Blanche, ce qui aurait pu justifier que Obama Michelle se réfère plutôt à ce mentor-là qu'à des spécimens plus âgés ? Le fait est qu'on ne nous dit pas si Dolivo (journaliste de mode, qui doit avoir consulté des archives, du moins le supposé-je.) a raison ou tort. On se contente de hurler au scandale. Or les cris d'orfraie n'ont jamais constitué quelque preuve que ce soit de ce qu'on avance !

08. 08bis. « ... intégré tous les codes blancs » (sic)..., casser le classicisme blanc avec « un boubou, un collier en coquillage ou… une créole de rappeur ». 

Ah le scandale que voilà ! Bien évidemment, ça se discute. Mais bon, la réponse à la question n'est-elle pas dans la phrase suivante, qui évoque les quatre siècles sur le continent nord-américain, après une déportation organisée par les Européens, le tout moyennant un lavage de cerveau unique dans l'histoire du colonialisme, les Africains déportés s'étant vus contraints d'oublier toute leur culture d'origine : langues, religions, traditions culinaires et vestimentaires, musique, etc. ? Comment expliquer, sinon, les différences culturelles visibles chez des populations africaines également déportées vers les Amériques, compte tenu de l'étroitesse (ou de l'amplitude) de leurs rapports avec l'homme blanc, pour ne citer que les exemples des Nord-américains, des Brésiliens ou des Haïtiens (cf. la capoeira, le canbomblé, le vaudou) ? Le fait est là : moins le poids du Blanc est prégnant dans la vie des Noirs et plus ces derniers vont être enclins à préserver leurs traditions ; voyez les Neg'marrons en Guyane et au Surinam, protégés par l'épaisse forêt tropicale de la dé-culturation.


09. Et en quoi  la « communauté noire » est-elle une entité homogène et moutonnière ? 

Ça c'est une bonne question. Mais qui a dit que la communauté noire était homogène et moutonnière ? Et pourquoi ne serait-elle pas homogène sans être moutonnière, ou moutonnière sans être homogène, dès lors que les modèles de référence ne sont pas homogènes non plus ? Et quand on relit Dolivo "dans le texte", elle dit bien que c'est la "blackgeoisie" qui a intégré les codes blancs ; pas la communauté noire dans son ensemble. D'où l'importance de lire ce qu'un auteur a effectivement écrit !

10.  Les luttes menées par les Noirs, pour le respect de leurs droits fondamentaux, tradition du vêtement comme vecteur de leur dignité. 

Là c'est une référence à un papier du journaliste de mode John Caramanica. Franchement, je ne vois pas en quoi la pensée de Caramanica a été contrefaite ici, s'agissant d'une prise de conscience politique se manifestant via l'allure vestimentaire.

11. Article imbécile et raciste...

Je n'ai pas très bien vu en quoi il était raciste, l'imbécilité (du latin "imbecillitas") étant synonyme de "faiblesse", ce qui se discute.

On peut constater qu'Audrey Pulvar - comme elle le reconnaît elle-même - n'a pas lu tout le papier de Nathalie Dolivo, notamment la toute fin, avec deux encadrés assez courts, certes, mais richement illustrés par des images de filles qui ont, toutes, la particularité d'afficher un look afro particulièrement éloquent et parfaitement assumé. Etonnant quand même de la part d'un article taxé de racisme, à moins que le fait de rappeler aux femmes noires la texture de leurs vrais cheveux soit assimilable à du racisme !

Quant au "contentons-nous de réclamer de ce magazine un minimum de respect dû à ses lecteurs et de rigueur de la part de ses  journalistes.", voilà une exigence à laquelle on ne peut que souscrire, en regrettant vivement que Pulvar ne se la soit pas appliquée à elle-même, je veux parler de la rigueur qui sied à tout(e) bon(ne) journaliste !



  • Pétition (lemonde.fr)

12. En 2012, "la ‘black-geoisie' a intégré tous les codes blancs…".  

La phrase avait déjà été épinglée par Audrey Pulvar, que l'on retrouve en bonne place parmi les signataires de la pétition. Question : vrai ou faux ? Pour le savoir, peut-être aurait-il fallu remonter aux sources de la déportation des Africains aux Etats-Unis et à la manière dont ils vont être utilisés par leurs maîtres blancs. Et là, je pense au "house slave", à l'esclave domestique ou "esclave d'intérieur", en clair, l'esclave qui passe du travail (harassant) dans les plantations à un travail bien plus gratifiant comme cuisinier, majordome... Cet(te) esclave-là  se tient au plus près de ses maîtres blancs, même s'il ou elle vit dans une annexe au fond du jardin. Et là, on se doit de donner raison à la journaliste de Elle, même si elle n'a pas abordé la question dans son court article : historiquement et sociologiquement parlant, la future bourgeoisie négro-américaine apparaît dès la période esclavagiste, avec précisément la hiérarchisation installée par les maîtres blancs entre les bagnards qui trimaient dans les plantations, d'une part, et les "house slaves", d'autre part, qui se la "coulaient douce" par rapport aux premiers, à l'abri de confortables et immenses demeures avec vérandas en bois, jardins, buanderies, offices,... le tout parmi les enfants, les pianos et harmoniums, les livres dans des bibliothèques... Le "house slave", c'est l'esclave civilisé, caricature du Blanc, qui va apprendre à lire et à écrire, à jouer du piano et de la trompette, à manger la nourriture du blanc, voire à apprendre à la cuisiner. Et, bien entendu, l'esclave domestique, préfiguration de la future bourgeoisie noire, porte des habits calqués sur ceux de ses maîtres.


      


13. D'ailleurs, "le chic est devenu une option plausible pour une communauté jusque là arrimée à ses codes streetwear." ... Eh oui, tandis que durant des décennies les Noirs se sont habillés comme des "cailleras" à capuche, ils ont enfin compris, grâce à l'enseignement des Blancs.

Ça c'est une extrapolation qui ne figure nulle part dans le papier de Dolivo. On sent là la patte d'Audrey Pulvar !

14. Voilà la teneur d'un article paru le 13 janvier dans l'hebdomadaire préféré des ménagères de la "white-geoisie".

Observons en passant que les pétitionnaires s'en tiennent à une version bien réduite de l'article incriminé ; à croire qu'eux aussi n'ont eu accès qu'à des fragments présentés sous la forme de captures d'écrans !

15. Si les Noirs sont enfin chics, c'est parce qu'ils ont désormais une icône digne de ce nom, Michelle Obama, qui donne le ton en "revisitant en mode jazzy le vestiaire de Jacky O.". 

Nathalie Dolivo n'a pas dit les choses en ces termes,  mais bon... Il faut croire que la référence à Michelle Obama constitue l'épicentre de la contestation et de la levée de boucliers contre l'article incriminé. 

16. N'avez-vous pas remarqué l'os que Halle Berry arbore fièrement dans son nez ? ... Rama Yade aime rappeler ses exotiques "origines" en se drapant dans un pagne léopard avant de prononcer ses discours ?

Extrapolations relevant de la plus parfaite mauvaise foi ; ça va devenir une mauvaise habitude ! Comme preuve que l'article de Dolivo n'était pas si "imbécile" que ça, puisqu'on éprouve le besoin de le contrefaire en le surchargeant, un peu comme cette tendance à "retoucher" des images pour les adapter à notre "vision" des choses : ici, Beyoncé Knowles "retouchée" pour les besoins de l'Oréal !



17. Il serait également temps de se rendre compte que des femmes noires, il y en a aussi en France, qu'elles ne vivent pas toutes aux Etats-Unis et ne sont pas toutes stars de la chanson, du cinéma ou du sport.

Je rappellerai simplement que l'article de Nathalie Dolivo portait sur un fait précis : l'émergence d'une catégorie de fashionistas qui se trouvent être noires et déclenchent une frénésie du côté d'un certain nombre de détenteurs du pouvoir tant du côté de la presse que des créateurs.

18. Et pourquoi toujours comparer à Barack Obama Omar Sy dans le film Intouchables.

Franchement, qu'est-ce qu'Omar Sy vient faire ici ? Où a-t-on vu que Nathalie Dolivo assimilait Omar Sy à Barack Obama ?

19. ... combats des minorités noires en faisant de la moindre starlette bien habillée.

Starlette "bien" habillée ? Est-ce qu'il ne s'agirait pas de starlette habillée tout court, mais différemment ? Il m'avait semblé que c'était ça, le thème de l'article de Elle.

20. Quant aux Noirs qui ne font pas de politique, on se demande s'ils se promènent nus… 

Encore une extrapolation dont on aurait pu se passer ! Il se trouve que les Rihanna, Saldana et autres Minaj ou Knowles ne font pas de politique !

21. Si la directrice de la rédaction y exprime des regrets, elle maintient sa position et persiste en affirmant avoir voulu être "bienveillante" avec les Noirs.

J'avoue que le terme "bienveillance" peut avoir un côté condescendant. Mais pour mieux en apprécier le sens, il suffirait de le rapprocher de son antonyme : "malveillance" !

22. Les Noirs, hommes ou femmes, n'ont pas besoin de bienveillance, mais d'égalité

Égalité : le mot est lâché. Le problème est que Elle est un magazine appartenant à un groupe de presse... privé. Qui plus est, dépendant énormément de ses annonceurs. Question : combien d'annonceurs "noirs" dans le magazine Elle ?

23. Or cette affaire est un révélateur : l'article est le symptôme médiatique d'une exclusion à la fois culturelle et sociale.

Exclusion. Le grand mot ! Là, je pense notamment au marché "africain" de la Goutte d'Or, au métro Château Rouge, avec ces milliers de gens qui viennent ici quotidiennement parce qu'ils ne mangent qu'"africain" ! Par ailleurs, moi qui suis un familier du musée du Quai Branly, on a pu y admirer une fort belle exposition sur le peuple Dogon, et j'avoue n'y avoir croisé aucun(e) Africain(e). Alors, l'exclusion culturelle et sociale, les gens se la fabriquent bien souvent tout seuls !

24. Puisque la tendance est à la "black fashion", pourquoi ne pas y adhérer en recrutant par exemple plus de rédactrices noires ? 

Rédactrices noires ? Mais comment savent-ils qui est noire et qui ne l'est pas au sein de la rédaction de ce magazine ?

25. Une femme noire pour poser sur la couverture du magazine? Juste une fois, pour voir ?

C'est tout ? Et ça ressemble à quoi, une femme noire ? Peau foncée ? Peau  décolorée ? Cheveux crépus ? Cheveux défrisés ?

Par ailleurs, pourquoi la seule alternative à la femme blanche serait-elle la femme noire ? Et les Asiatiques, Arabes, Berbères, Indiennes, Pakistanaises, Sud-Américaines, Chinoises ?

26. Deux millions de femmes noires en France, qui dépensent sept fois plus d'argent dans les cosmétiques que leurs congénères blanches.

Ça c'est presque un scoop. Est-ce que cela veut dire que les femmes noires sont sept fois plus riches que leurs consoeurs blanches ? Voilà une réalité sociologique stupéfiante ! Parce que si, comme on peut le supposer, la moyenne des revenus des femmes noires est sensiblement inférieure aux revenus des Européennes (avec toutes ces femmes au foyer africaines, ou nounous et femmes de ménage payées la moitié voire le tiers d'un SMIC), alors nous aurions là le commencement d'un constat bien navrant, à savoir, par exemple, qu'une femme de ménage africaine est capable de dilapider en cosmétiques bien plus qu'une comptable, pharmacienne voire pilote de ligne. Faut-il s'en réjouir ? 

27. Un marché en expansion pour les produits de beauté et de mode, est-ce si négligeable ? 

Ben, il faut croire que nos pétitionnaires ne sont nullement dérangés par le délire consumériste qui s'est emparé de mères de familles désargentées, majoritairement africaines, délaissant leur nombreuse marmaille dans des appartements surpeuplés, pour s'en aller passer des après-midis entiers dans des salons de coiffure pour y dilapider leurs maigres ressources, voire détourner les allocations familiales normalement dévolues à l'éducation des enfants. Et étonnez-vous que tous ces enfants en déshérence, livrés à eux-mêmes par des parents irresponsables fournissent le gros des délinquants des pays où ils vivent (cf. les forts taux de délinquance des adolescents noirs tant aux États-Unis qu'en France).

28. Ce "racisme structurel" de notre société, dont parle si bien Valérie Toranian sur les plateaux de télévision, est aussi alimenté par l'absence des femmes noires à la Une des titres de presse féminine : en près de 70 ans d'existence, Elle n'a daigné accorder sa couverture qu'à une poignée de femmes noires.

Racisme structurel, structure étant l'antonyme de conjoncture. Mais entre nous, figurer en Une d'un magazine de mode est-il plus important que de trouver du travail, élever correctement ses enfants pour leur assurer le meilleur avenir possible (proportion des Noirs dans les grandes écoles, facs de médecine, etc., et dans les lycées professionnels, ces voies de garage pour élèves en perdition ?).

En conclusion : je dois dire que tous ces polémistes qui sont tombés à bras raccourcis sur Nathalie Dolivo n'apportent strictement rien au débat, se contentant d'incantations et d'invectives, l'insulte et le dénigrement désobligeant (les cons ça ose tout, papier de merde, imbécile et raciste...) n'ayant jamais été des marqueurs de l'intelligence. Et, déformation professionnelle obligeant, si je devais noter l'ensemble que je viens de commenter, j'opterai pour une note inférieure à la moyenne ; disons 8 sur 20




P.S.


1. Des femmes noires à la une de ELLE ? Mais des femmes noires comment ? Étant donnée l'obnubilation de beaucoup d'entre elles pour les prothèses capillaires, on peut se demander si un magazine devrait opter pour la fille (ci-dessous) de gauche ou plutôt pour celle de droite ?




En ce qui me concerne, vous avouerai-je que je trouve Rokhaya Diallo bien plus sexy (Hou la la, le vilain mot que voilà, qui devrait me valoir le peloton d'exécution de la part de plein de grognasses du féminisme intégriste, mais je m'en fous, j'assume !) avec sa coupe afro qu'avec ces horribles cheveux en plastique qui ont rendu beaucoup d'Africaines complètement folles, à croire que beaucoup d'entre elles n'ont aucune idée de la texture réelle de cheveux naturellement lisses !

2. Des femmes "noires" à la Une de Elle ? Bof ! Pour ma part, je dois vous avouer que, de toutes les filles susceptibles de me faire acheter un magazine, les plus sexy - hormis Rokhaya Diallo en coiffure afro - ce sont encore les sportives. Du coup, on s'étonne que la presse féminine française snobe nos plus grandes - et belles - athlètes pour leur préférer des créatures anorexiques, longues et plates, sans le moindre sex appeal ! En revanche, quoi de plus sexy qu'une belle sangle abdominale, avec des abdos bien saillants ! Au hasard : Isinbayeva, Hurtis, Arron... Mais il y a aussi quelques nageuses, joueuses de tennis, etc...



 

  
  





















































N. B.  Ci-dessus, on aura reconnu, entre autres : Federica Pellegrini, que je verrais bien faire du cinéma ; Serena Williams, quand elle était encore mince (2008), car, depuis, les fesses ont doublé de volume !; la petite amie de Iker Casillas, gardien de but au Real Madrid, Yelena Isinbayeva, Christine Arron et Muriel Hurtis (ah, les abdos ! J'ai presque les mêmes, encore quelques efforts et je pourrai rivaliser avec Cristiano Ronaldo !), Marie-José Perec (une des toutes toutes premières à avoir lancé la mode des abdos à l'air), Myriam Soumaré, Laura Flessel, Ming Xia Fu s'élevant dans le ciel de Barcelone (1992),  sans oublier la mythique (dont le retrait sportif et le mariage ont dû causer quelques dépressions chez les Allemands) Franziska Van Almsick, la nageuse qui introduisit le glamour (et les tatouages ; voyez Manaudou) dans les bassins, et qui a mis fin à l'ère de ses compatriotes est-allemandes au look d'armoires à glace.  Et comme un indice des fantasmes que cette fille générait parmi la gent masculine teutonne, il y a ce mot qui lui fut attribué par la Bild Zeitung : "Ich brauche Sex wie Brot und Wasser!", que je me garderais bien de vous traduire !


 


Question : à quand de vraies femmes - la couleur de la peau m'importe peu - à la Une des magazines féminins français, comme cela se passe ailleurs, au lieu de ces asperges anorexiques, longues, plates et si peu sexy, qui ressemblent à tout sauf à des femmes ?



3. Deux millions de femmes noires en France, qui dépensent sept fois plus d'argent dans les cosmétiques que leurs congénères blanches...




(…) Ce qu'Isabelle sait de cette école, c'est d'abord ce qu'elle en voit de sa fenêtre : "Des gamins arrivent en pyjama, le ventre vide. Ils habitent dans des squats sans eau. C'est un autre monde. Les petits se débrouillent, entrent et sortent de l'école, sans adultes pour les accompagner." Sur le carrefour qui fait face à l'école, il y a aussi le trafic de drogue… (Libération, 12 avril 2002).

(…) C'est en faisant prendre conscience du coût de la scolarité qu'on revalorisera le savoir. et c'est malheureusement en menaçant les parents de ne plus toucher les allocations ou d'avoir à payer des amendes qu'on provoquera une prise de conscience (Le désarroi de la directrice d'un collège de Sarcelles, Le Figaro, 5 novembre 2002).


4. Lu dans la presse : "(…) Les noirs américains se déclarent africains américains. Ils ne veulent pas entendre parler de la créolisation. Mais tout en revendiquant, ce sont eux qui inventent tous les produits de défrisage des cheveux. La race noire est la seule qui conteste, de manière quasi absolue, la nature de ses cheveux. Sur cent femmes noires, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui sont défrisées. Donc, le cheveu crépu n'a pas trouvé d'acceptation par la race noire elle-même. Ce sont les noirs américains qui inventent les produits pour s'éclaircir la peau. Lorsqu'on voit un film de noir américain, on s'aperçoit que les femmes sont dix fois plus claires que les hommes et on se demande par quel mystère il y a des processus de blanchiment… On est dans un processus d'aliénation et de soumission au blanchiment du monde."[1] 


[1]  Patrick Chamoiseau, in Citéblack, Paris, 14 février 2005, p. 13.

5. Lu dans la presse.



Citéblack, n° 51, 25 avril 2005, p. 16


Prochain épisode : racisme subliminal et inconscient


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